CHAPITRE VIII
La porte de la cellule s'ouvrit et cinq gardes armés de pistolets électrocuteurs intimèrent aux prisonniers l'ordre de les suivre.
Billy Hawkins et Lakuwa furent conduits jusqu'à la salle du trône, vaste pièce circulaire au plafond doré soutenu par d'imposantes colonnes de marbre vert.
Dans un justaucorps mauve à reflets chatoyants, Kowan se leva, une lueur de triomphe dans ses yeux cruels.
— Ainsi, commença-t-il d'une voix cassante, en narguant Lakuwa, tu as pu quitter la planète où je t'avais exilée ! J'ai commis une erreur grave en te laissant la vie sauve, mais aujourd'hui, ta vie répond de la mienne et finalement, je n'ai rien à regretter... Cela, bien sûr, ne m'empêchera pas de te faire payer durement ton évasion ! Je te livrerai à mon excellent ami Riktong... Tu as pu apprécier son ardeur... mais tu ne le connais pas vraiment, tu ne sais pas de quelles atrocités il est capable lorsqu'il a le champ libre pour s'occuper d'un prisonnier ou d'une prisonnière... surtout si elle est belle !
Il la toisa de la tête aux pieds avec un rictus mauvais :
— Je vois qu'il a respecté mes ordres et ne t'a pas abîmée...
Il se rassit, s'empara d'un fouet qui traînait au pied du trône et joua un instant avec la pointe effilée :
— Daïlox, qui a pu s'infiltrer parmi les complices d'Hyrban, m'a rapporté une histoire à dormir debout... mais la suite des événements m'incite à en tenir compte, à tort, peut-être. D'après ce fidèle agent de renseignement tout dévoué à ma cause, ton genou, Lakuwa, abriterait un univers infiniment petit ? Des humanoïdes en auraient surgi, qui t'ont porté secours et nourriraient l'outrecuidant projet de me renverser ?
Il secoua doucement la tête et ricana de nouveau :
— Que l'origine de tes petits alliés soit aussi fantastique — aux dires de Daïlox — ou qu'elle soit beaucoup moins romanesque, je m'en soucie fort peu... ou plutôt, plus du tout. En effet, la plaine où leur escadre avait pris position a été ravagée par un tapis de bombes à haute puissance et je te garantis que, visibles ou invisibles, leurs appareils ont été réduits en cendres !
Jouissant de la consternation qu'affichaient ses prisonniers, il ajouta :
— Je veux tout de même que tu me dises comment ils comptaient s'y prendre pour abattre ma puissance ?
La gorge étreinte par le chagrin, démoralisés, livrés à la merci du tyran, Billy Hawkins et la princesse demeuraient silencieux, hantés par l'image épouvantable de leurs amis brisés, morts sous les débris informes de leurs astronefs. Leur ultime espoir résidait maintenant en la venue de Xung et de son corps expéditionnaire. Cette pensée les galvanisa ; tout n'était peut-être pas perdu...
Le journaliste chuinta, en anglais :
— Essayons de gagner du temps, chérie...
Kowan se dressa, les yeux fulminant de colère, le fouet à la main :
— Que dis-tu ?... Répète à haute voix ce que tu as chuchoté !
Sans se démonter, Billy Hawkins répondit en ladonien :
— Je ne disais rien de grave, sinon que nous avons très soif, très soif...
Kowan n'en crut pas un mot et fit claquer son fouet. Un sillon sanglant zébra la joue du reporter.
Lakuwa, les poings serrés, cracha :
— Tu seras pendu et tes forfaitures prendront fin plus tôt que tu ne penses !
— Attachez-les ! Attachez-les à une colonne ! gronda-t-il, écumant de fureur.
Les gardes les empoignèrent, les plaquèrent contre l'un des piliers massifs et attachèrent leurs chevilles, leurs poignets autour du fût de marbre.
Kowan s'approcha, arracha d'un geste sec le bustier de Lakuwa et mit ses seins à nu :
— Tu sentiras mieux la morsure du fouet. Tu verras mon adresse ! Même Riktong — pourtant orfèvre en la matière — ne parvient pas à sectionner la pointe d'un sein du premier coup...
Il leva le fouet mais, à ce moment, un écran télévisionneur mural émit une pulsion lumineuse et un officier parut sur l'écran :
— Excellence ! L'escadrille qui a bombardé au sol les astronefs ennemis n'a pas regagné sa base. Son dernier message spécifiait pourtant que sa mission était accomplie. Une patrouille vient d'effectuer des recherches, sans succès. Nous pensons, en raison de cela, que l'ennemi n'occupait plus la plaine lorsque le bombardement a débuté.
« Les recherches se poursuivent, Excellence. Terminé. »
Atterré, Kowan offrait l'image d'un fauve aux abois et il s'approcha de Lakuwa, les mâchoires soudées. La jeune femme le regarda puis baissa les yeux, vaincue :
— Je suis en ton pouvoir, Kewan, mais je tiens à la vie... Je vais parler...
Soudain consterné, Billy Hawkins tourna la tête vers sa compagne enchaînée et supplia, en anglais :
— Non, Léki ! Je t'en conjure, garde le secret ! C'est l'avenir de ton peuple que tu détiens entre tes mains ! Ne t'abandonne pas à une lâche délation !
Lakuwa haussa les épaules avec lassitude et poursuivit, en ladonien :
— Les astronefs terriens n'étaient plus dans la plaine, effectivement. D'après les plans prévus, ils devaient se regrouper aux sources du fleuve Butzao. De plus, les renforts vont bientôt arriver sur Ladon... Libère-moi et je m'engage à renoncer publiquement au trône, à abandonner à jamais l'idée de régner.
Le dictateur éclata d'un rire grinçant :
— Tu es peu douée pour la comédie et ta ruse est vraiment trop grossière ! Tes aveux sont par trop spontanés... Tu cherches à nous fourvoyer vers des régions où nous ne découvrirons rien !
Billy Hawkins soupira moralement mais trouva risquée la ruse de la jeune femme : en divulguant la vérité, Lakuwa espérait bien induire Kowan en erreur. Le stratagème avait réussi. Hawkins feignit donc l'abattement le plus complet tandis que sa compagne baissait la tête, désemparée.
Kowan éructa :
— Vous escomptiez me berner, hein ? Envoyer nos bombardiers à l'opposé, sans doute, de l'endroit où se terrent vos complices ?
Il abattit sauvagement son fouet sur le couple et Lakuwa se mordit les lèvres pour ne pas hurler. Hawkins plaida leur cause :
— Comment voulez-vous que nous sachions où se trouvent les appareils que nous avons quittés, enlevés par vos hommes ? Nous ignorons tout des projets de nos amis. Croyez-le ou non, ça ne changera rien au cours des événements et, surtout, ne torturez pas inutilement Lakuwa ; elle n'en sait pas plus que moi...
De nouveau, la lanière de cuir cingla les prisonniers qui se tordirent dans leurs liens.
— Regarde ses seins, Hawkins ! Regarde-les bien, car c'est la dernière fois que tu les vois aussi beaux. Dans une minute, ils ne seront plus qu'une masse san...
Le télévisionneur émit son signal pour la seconde fois et le même officier annonça :
— Excellence ! Un vol de reconnaissance vers Tinwy a repéré un nuage de fumée qui s'élève au-dessus d'Ulga, la capitale du bagne-satellite.
La centrale d'énergie a été détruite. Quatre appareils ennemis ont pu être abattus... mais le gros des forces d'agression a fui dans l'espace.
« Des chasseurs patrouillent actuellement en orbite autour de Ladon et de ses satellites. Le dispositif défensif de Fango a été renforcé en prévision d'une attaque pouvant survenir d'un moment à l'autre...
Le tyran jeta son fouet au sol, donna l'ordre à ses hommes de reconduire les prisonniers dans leur cellule, et partit à grandes enjambées en direction de la salle où siégeait déjà son Etat-Major...
L'imminence de la menace qui pesait sur « sa » capitale l'inquiétait autrement plus que le sort des captifs. Il aurait tout le loisir de s'amuser avec eux — avec elle, surtout — lorsque l'ennemi aurait été écrasé...
Avec une hâte fébrile, l'artillerie atomique disposait ses puissantes batteries hors les murs de la cité.
Un incessant va-et-vient d'armes lourdes, de convois s'amorçait d'un bout à l'autre du continent pour assurer la défense des points stratégiques. Des escadrilles de chasseurs sillonnaient le ciel au-dessus de Fango. La fièvre d'un combat imminent surexcitait l'armée du dictateur.
Haut, très haut dans le ciel et enveloppés de leur champ d'invisibilité, les astronefs de Jerry Barclay suivaient sans intervenir ces préparatifs de défense.
Des appareils ladoniens passaient et repassaient inlassablement sous la formation terro-bètlyorienne sans se douter un seul instant que leurs évolutions étaient sans cesse épiées.
Hyrban, sur un calque appliqué sur la surface opalescente d'un négatoscope, dessinait de mémoire l'étage supérieur du palais de l'usurpateur, commentant parfois un détail, une particularité de la topographie des lieux à l'intention du biologiste et du commandant Thomson.
Un plan d'action s'élaborait peu à peu pour tenter de sauver les deux captifs, de délivrer le plus rapidement possible Lakuwa.
Allongée sur l'unique couchette de la cellule, la princesse gémissait parfois. Ses épaules, ses flancs meurtris par les coups de fouets présentaient une multitude de stries écarlates où perlaient des gouttes de sang.
Billy Hawkins, les épaules et la joue douloureuses lui aussi, pressait dans les siennes les mains de sa compagne. Ils ne disposaient même pas d'un récipient avec de l'eau !
La princesse se dressa soudain à demi sur sa couche, après un regard vers la fenêtre :
— Bill ! Le crépuscule!... Le général Xung ne tardera plus à ramener les renforts. Si je reste enfermée dans ce cachot, les cosmonefs de nos amis, en émergeant de mon genou, iront s'écraser contre les murs, ou bien ils défonceront le palais et détruiront la ville ! Une mort certaine nous attend et elle n'aura servi à rien puisque mon peuple restera sous le joug du tyran...
En soupirant, il s'approcha de la fenêtre garnie de barreaux, se hissa sur la pointe des pieds et jeta un regard au dehors.
Sous ses yeux s'étendait la vaste cité, avec ses hauts bâtiments, ses rues au tracé géométrique en étoile, au cœur de Fango où s'érigeait le palais royal, là où tous deux étaient retenus captifs.
Face au nord, leur cellule se trouvait à la base de la coupole qui coiffait la demeure de Kowan.
Les buildings aux façades luminescentes s'éclairaient un à un.
Le journaliste cessa brusquement de contempler avec mélancolie l'étrange cité et se retourna :
— Léki, la fenêtre !
Elle cilla, avec une mimique d'incompréhension :
— Oui ? Détrompe-toi, chéri, ces barreaux ne céderont pas à tes efforts.
— Il ne s'agit pas de ça, mon chou... Si tu parviens à glisser tes jambes entre ces barreaux, quand l'escadre de Xung émergera de ton genou, elle ne se fracassera pas contre les murs et filera vers l'espace libre !
Elle vint le rejoindre et l'embrassa :
— L'idée est excellente ! Ainsi, même prisonniers, nous serons en mesure de favoriser l'arrivée des renforts tout en évitant une catastrophe !
Billy Hawkins la souleva, la maintint pendant qu'elle passait ses jambes entre les barreaux et les laissait pendre à l'extérieur, dans le vide. Assise sur l'étroit rebord de ciment, elle saisit les barreaux et se tint dans cette position inconfortable tandis que son compagnon, derrière elle, la soutenait, allégeait en quelque sorte la tension imprimée à ses bras.
Il la lâcha un instant pour glisser sous ses fesses et ses cuisses sa cape afin de les soustraire à la rugosité du ciment qui meurtrissait sa chair.
— Regarde, conseilla-t-elle en désignant un point du ciel, bien au-delà de Fango. Les feux de position d'une patrouille aérienne ; sans doute des chasseurs de Kowan qui reviennent bredouilles... après avoir vainement tenté de localiser l'escadre de nos amis... Oh !
Une énorme lueur violacée venait d'envelopper l'escadrille de cinquante chasseurs. Avec un temps de retard, l'onde de choc d'une formidable explosion leur parvint.
— Bravo ! jubila le reporter. Barclay ne perd pas son temps ! Protégé par les champs d'invisibilité, il vient de descendre... ou plus exactement, de désintégrer ces appareils !
Le palais résonna bientôt d'un bruyant remue-ménage et peu après, d'autres chasseurs traversèrent le ciel de la capitale, se dirigeant vers le lieu de l'explosion.
Un bruit de bottes martela le couloir menant aux cellules. Les deux captifs s'entre-regardèrent, inquiets : comment expliqueraient-ils « l'extravagant » comportement de Lakuwa, perchée sur la fenêtre, les jambes dans le vide ? Kowan allait-il mettre à exécution ses menaces de les faire torturer ?
Le mécanisme électronique commandant l'ouverture de la porte cliqueta.
La princesse posa sa main sur l'épaule du Terrien et murmura, avec tendresse :
— Chéri, si cette minute est la dernière que nous vivons, sache que je t'aime...
L'arme au poing, des gardes firent irruption dans la geôle et s'écartèrent pour laisser passer un officier. Celui-ci resta une seconde ébahi et aboya :
— Descendez de cette fenêtre ! Riktong vient d'arriver au palais et Kowan l'a invité à assister à votre supplice... Première étape, un viol collectif par la garnison ! Le reste, c'est une surprise...
Après avoir détruit l'escadrille de chasseurs ennemis, Jerry Barclay mit le cap sur la métropole.
Scrutant l'espace, Nicky et le commandant Thomson repérèrent, sur les radarscopes, des appareils qui fonçaient dans leur direction ; simple coïncidence puisque leur escadre demeurait invisible.
Barclay lança un ordre :
— Dix unités de l'aile droite suivront mon astronef ; les autres, occupez-vous de nettoyer le ciel !
Ils s'en occupèrent, projetant sur les nouveaux venus leurs faisceaux désintégrateurs tandis que l'escadrille du biologiste se déployait au-dessus de Fango et stationnait au point fixe. Seul le vaisseau de Barclay descendit pour s'immobiliser à une dizaine de mètres seulement de la tour qui surmontait la coupole du palais royal. Du haut de cette tour, un puissant projecteur balayait la ville et croisait le pinceau lumineux des autres postes de surveillance.
Les servants de la tour ne pouvaient se douter de la présence de l'ennemi à quelques mètres au-dessus de leur tête ! Un flux de rayons paralysateurs les tétanisa instantanément et le cône de lumière poursuivit sa rotation automatique.
Au bord de l'une des écoutilles latérales, Barclay et ses amis s'apprêtaient à plonger dans le vide lorsque le bracelet émetteur-récepteur du biologiste libéra dans son poignet une microdécharge, signai absolument silencieux se substituant, selon les circonstances, au vibreur habituel. Il établit le contact et, dans le bas-parleur porté à son oreille, il perçut la voix de l'officier des transmissions :
— Par télévisionneur, nous observons une fenêtre éclairée, garnie de barreaux, de l'autre côté de la coupole, donc, hors de vue depuis votre position. Détail insolite, une jeune femme laisse pendre ses jambes dans le vide, entre ces barreaux.
— Lakuwa, sûrement. Dans cette position, elle laisse le champ libre à l'escadre de Xung qui devrait émerger sous peu dans ce continuum. Merci du tuyau, lieutenant.
Il donna l'ordre du départ et actionna son compensateur de gravité, suivi par Nicky, le commandant Thomson, Hyrban et un commando terro-bètlyorien, tous solidement armés. Ils contournèrent la masse de la coupole et parvinrent en vue de la fenêtre de la geôle au moment où Lakuwa, désemparée, retirait ses jambes d'entre les barreaux...
— Quelque chose ne tourne pas rond, grommela Barclay en dégainant son arme. Hâtons-nous..., Hyrban, occupez-vous de la tour !
Ils contournèrent la masse de la coupole et repérèrent la fenêtre garnie de barreaux. Barclay et Peter Thomson, en planant, se postèrent de part et d'autre de l'ouverture et risquèrent un œil : Billy Hawkins et Lakuwa se dirigeaient vers la porte sous la menace des gardes.
Le biologiste lança cet ordre bref, en anglais :
— Couche-toi, Billy !
Surpris, le reporter n'hésita qu'une seconde et plongea sur Lakuwa qu'il entraîna dans sa chute. Un éclair fulgurant illumina aussitôt la cellule et les gardiens furent désintégrés.
Le commandant Thomson lança dans la geôle deux compensateurs de gravité :
— Attrapez ça, Hawkins, et passez-les mais restez couchés une minute encore...
A l'aide du fulgurant, il fit fondre les barreaux d'acier et, dans la minute qui suivit, le reporter aida sa compagne à se relever. Munis chacun d'un compensateur de gravité, ils flottèrent jusqu'à la fenêtre et abandonnèrent enfin leur cachot.
— Tu tombes vraiment à pic ! sourit Hawkins tandis que Lakuwa, émue, embrassait spontanément Nicky, Barclay et le commandant Thomson.
Hyrban et ses hommes les rejoignirent en planant et le vieillard étreignit à son tour la princesse, la serrant avec émotion contre sa poitrine :
— Nous avons eu très peur, Léki, pour toi et ton compagnon.
— La tour ? questionna Barclay.
— Nettoyée, Jerry ! Nous pouvons regagner votre vaisseau.
Parfaitement orchestrée, l'évasion s'était déroulée sans coup férir.
A bord de l'astronef, sur la passerelle de commandement, Billy Hawkins et Lakuwa goûtaient enfin la liberté retrouvée après que Nicky eût appliqué sur leurs blessures — fort heureusement superficielles — une substance désinfectante et cicatrisante à la fois.
Barbara Rice, qui avait filmé les diverses phases de leur délivrance, prenait maintenant un gros plan de son confrère et de la princesse Lakuwa, tous deux le torse nu zébré des traces de flagellation.
— Tu es parfaitement à l'aise dans ton rôle de reporter, Barbara, la complimenta amicalement Hawkins. Je te promets de parler de toi à Larry Ryan, mon boss, et de te faire entrer par la grande porte dans notre « canard », dès notre retour sur la Terre.
Lakuwa ébaucha une moue attristée. Le journaliste la prit par la taille et lui sourit :
— Je ne suis pas encore parti... Au demeurant, il y a peut-être une place de « brillant reporter » à prendre, sur Ladon, tu ne crois pas ?
— J'étudierai la question..., chéri, plaisanta-t-elle en se serrant contre lui.
Agitant de tout autres pensées, Barclay interrogea le vieillard :
— Quelle zone de repli avez-vous choisie, Hyrban ?
— Les hauts-plateaux de Konntag, là-bas, au sud-est du fleuve Butzao, par-delà cette chaîne montagneuse...
Barclay donna un ordre aux pilotes des appareils et entraîna sa formation vers le point indiqué.
L'imposant massif rocheux nimbé de brume fut survolé et les vaisseaux amorcèrent aussitôt leur descente vers l'immense plateau désertique, fait de pierraille noirâtre.
— C'est dans ce décor sinistre que se déroulent certaines manœuvres militaires, indiqua Hyrban. Nous y serons tranquilles car son accès est interdit aux Ladoniens. De nombreux plateaux analogues à celui-ci sont disséminés sur la planète. Kowan aurait donc pas mal de difficultés à les bombarder tous en espérant atteindre ainsi, à coup sûr, votre escadre invisible.
Les astronefs se posèrent en cercle, de manière à former une vaste enceinte et, peu après, Lytank rejoignit son père resté auprès de nos amis. Leur petit groupe s'avança jusqu'au milieu de l'espace libre, ceint d'une invisible barrière de vaisseaux aux bouches à feu prêtes à cracher leurs dards à la formidable puissance de destruction.
La princesse Lakuwa s'étendit sur un siège relax. Protégée par ses fidèles alliés terro-bètlyoriens, elle attendait, anxieuse, l'arrivée des renforts commandés par le général Xung. Son escadre ne tarderait pas à émerger des profondeurs de l'infiniment petit — de nos univers — constituant les molécules de matière vivante de la Femme-Cosmos.
Le satellite Tinwy se leva au-dessus des montagnes, ses rayons jaunâtres répandant une faible lueur sur le plateau de Konntag.
Barclay reçut un message, émanant de son vaisseau-leader :
— Nous détectons l'approche d'un homme se déplaçant très près du sol, muni d'un compensateur de gravité. Il est seul. Nous le gardons dans notre collimateur.
— Très bien, lieutenant ; laissez-le approcher.
Au bout d'un moment, la silhouette se découpa dans la clarté du satellite, passa entre deux vaisseaux et vint se poser près du petit groupe. Barclay reconnut un ami en la personne du nouvel arrivant : Britug, qui s'adressa à lui en ces termes :
— Les chefs de secteur vont arriver incessamment, Jerry. J'espère que nous aurons le temps de pratiquer sur eux le transfert mnémo-linguistique qui leur permettra de comprendre alors votre langue.
Quelques instants plus tard, comme venait de l'annoncer Briting, une nuée de Ladoniens dissidents équipés de compensateurs de gravité déferlait sur la plaine. Introduits sans délai à bord des spacionefs, des techniciens les soumirent tout aussitôt aux appareils à transfert, mémorisant dans leur psychisme la connaissance de l'anglais.
Pendant ce temps, pour Barclay et ses compagnons, les heures s'écoulaient, longues et irritantes.
Le second satellite
— Sogur — fit son apparition, suivi de près par la troisième lune, Urja, plus petite et plus éloignée que les deux autres.
Vers une heure trente du matin, Billy Hawkins tressaillit : de minuscules « grains de blé » brillants prenaient naissance au-dessus du genou droit de Lakuwa.
— Les renforts arrivent ! cria-t-il en désignant l'essaim qui grossissait à vue d'œil.
— Tous à terre ! ordonna Barclay en enfonçant le contacteur de son émetteur-récepteur-bracelet pour tenter d'établir la liaison avec le général Xung.
Sans interruption, les astronefs terro-bètlyoriens émergeaient de la rotule de Lakuwa, parfaitement immobile et bouleversée, les yeux fixés sur son genou.
Encore invisibles à leur point d'émergence — l'épiderme de la jeune femme — les vaisseaux prenaient peu à peu l'aspect de lucioles phosphorescentes. Ils augmentaient rapidement de volume et grimpaient dans le ciel, devenant alors, en s'éloignant, de terrifiants engins de combat, identiques à ceux qui étaient répartis en cercle dans la plaine.
Au bout d'une minute, Barclay capta un appel dans son bas-parleur :
— Xung appelle Barclay...
— Jerry à l'écoute, vieux frère ! Prends immédiatement de l'altitude et plafonne au point fixe avec ton escadre. Sitôt qu'elle aura atteint les normes volumétriques à l'échelle ladonienne, déploie tes écrans d'invisibilité.
— Bien compris, Jerry...
Ce dernier, avec une certaine anxiété, contrôlait sur son chronographe quartz Rotary la durée de l'émergence totale de l'escadre. Il ne fallut pas moins de trente minutes au millier d'astronefs pour se « libérer » de son « milieu moléculaire », afin de jaillir dans ce nouveau continuum et grimper en flèche dans le ciel nocturne tout en augmentant régulièrement de volume.
— Xung à Jerry : nous avons atteint le rapport volumétrique conforme à ce continuum et plafonnons au point fixe : altitude, vingt mille mètres. Over.
— Bien compris, Xung. Nos appareils au sol vont baliser le plateau avec des faisceaux infrarouges et délimiter la zone où ton escadre pourra se poser. Over.
— Bien compris. Nous détectons parfaitement les faisceaux dessinant un éventail large » ment ouvert. Nous commençons la manœuvre d'atterrissage en maintenant en circuit nos champs d'invisibilité. Terminé.
— Reçu. Terminé.
Avec une majestueuse lenteur, les mille cosmonefs — seulement visibles en infrarouge — descendirent à la verticale et se posèrent silencieusement sur leurs énormes étançons télescopiques d'atterrissage. Leur champ répulsif souleva un nuage de poussière tourbillonnante qui, pour un observateur non averti, aurait pu passer pour un brusque souffle de vent.
Dans la pâle clarté de l'aube naissante, le plateau prit un ton de grisaille tandis que la cime des montagnes, au lointain, se colorait de bleu, un bleu allant en dégradé vers l'orangé et annonçant le lever prochain du soleil.
Barclay et ses compagnons se portèrent à la rencontre du général Xung. Celui-ci, descendant le long du plan incliné de la passerelle de son vaisseau, vint les rejoindre, accompagné du professeur Hemingway, tandis que Barbara Rice, télé-caméra au poing, filmait cette rencontre mémorable...